ambre – le vomi de baleine en parfum
Un parfum de cachalot
Écrit par GlenN Lauritz Andersson & Denis Vasilije, experts en parfums
Ambre, ambergris, sécrétion de baleine – différents noms pour un ingrédient précieux, sensuel et chaleureux que l’on retrouve dans de nombreux parfums aux notes profondes. Mais qu’est-ce que l’ambre exactement ? Quelle est son odeur, d’où vient-elle ? Et pourquoi l’ambre est-elle si précieuse ? Chez Gents, nous allons tenter de lever le voile sur ce qui rend ce sous-produit du cachalot si particulier et si recherché dans le parfum.

qu’est-ce que l’ambre ?
L’ambre est une sécrétion cireuse produite par les intestins du cachalot, servant de protection lorsqu’il avale des calmars dont les becs pourraient endommager et irriter son système digestif. L’excédent est rejeté par le cachalot sous forme de « vomi de baleine », des amas mous et nauséabonds qui finissent par s’échouer sur les plages, portés par la mer, où ils sont ensuite récoltés.
Dans l’univers du parfum, le terme ambre désigne l’ambergris, c’est-à-dire l’ambre grise, à ne pas confondre avec l’« ambre » issue de résines végétales ou de la sève fossilisée du succin. La couleur de l’ambre est essentielle : fraîche, elle est sombre, presque noire, et possède une texture molle, inutilisable à cause de son odeur forte et désagréable (souvent décrite comme une puissante senteur fécale d’huile de poisson). Il faut en réalité de 20 à 40 ans pour que le bloc mûrisse dans des conditions idéales – il prend alors une teinte gris clair, cendrée, et atteint une qualité suffisante pour être utilisé dans le parfum.
l’usage de l’ambre à travers l’histoire
L’ambre est mentionnée depuis l’Antiquité ; déjà à Babylone, on connaissait cette sécrétion du cachalot, à laquelle les Perses attribuaient des vertus médicinales. Dans certaines branches de l’islam, cet ingrédient a même acquis un statut mythique et sacré. À l’époque, on ignorait son origine, et c’est Marco Polo qui fut le premier à avancer la théorie du vomi de baleine. Au XIe siècle, l’ambre fut introduite en Europe, où elle devint populaire comme aphrodisiaque, et pendant la peste noire au XIVe siècle, elle était réputée particulièrement efficace contre les épidémies. Des onguents à base d’ambre étaient également utilisés pour traiter la goutte, la paralysie et l’épilepsie. Aujourd’hui, l’ambre est surtout utilisée en Asie, où elle reste prisée comme parfum, remède et épice. À propos d’aphrodisiaque – saviez-vous que Casanova parfumait son chocolat à l’ambre avant ses conquêtes amoureuses ?
ambre – parfum, caractère et fabrication
Quelle est donc l’odeur de l’ambre ? Tout dépend de sa préparation et de son association à d’autres matières. Comme la note d’oud issue de l’agar, l’ambre possède de multiples facettes, mais certains traits sont caractéristiques : une fois mûrie, elle se distingue par son parfum velouté, sensuel, évoquant le musc, le savon et le tabac, avec des accents marins, rappelant la mer. Beaucoup la comparent à la peau chauffée par le soleil après une journée à la plage. On y perçoit souvent une douceur vanillée et des notes animales, même si l’ambre est considérée comme la moins « animale » de sa catégorie – comparée à la civette, à l’oud ou au castoréum, elle est moins envahissante et « sale » dans son caractère (notons qu’il s’agit ici d’ambergris diluée !).
Contrairement à de nombreux autres ingrédients, l’ambre ne peut pas être transformée en huile essentielle ; on en extrait plutôt une essence – ou teinture d’ambre grise – par macération dans l’alcool. Il n’est pas rare que l’ambre soit mélangée à d’autres matières animales pour obtenir une composition plus complexe. Une méthode particulièrement précieuse consiste à émietter l’ambre, le musc et la civette, puis à les mélanger à de l’alcool chaud à 95 %. Le mélange est ensuite placé dans un pot et maturé dans du fumier de cheval chaud pendant au moins vingt jours. Un procédé plus simple consiste à n’utiliser que de l’ambre broyée, de l’eau distillée, de l’alcool et du lactose, mais les recettes varient selon le caractère recherché.
le prix du vomi de baleine
Le cachalot est aujourd’hui menacé d’extinction, principalement à cause de la chasse pour son précieux spermaceti. Il n’est donc pas surprenant que l’ambre fraîche, inutilisable, n’ait pas été exploitée, à moins de la conserver plusieurs décennies. La raréfaction des baleines a rendu l’ambre grise mûrie en mer extrêmement rare – et donc d’une valeur inestimable. Le prix de l’ambre atteint des sommets, ce qui se traduit par des contrefaçons et des prix vertigineux aux enchères. Un bloc de 1,1 kg trouvé au Pays de Galles s’est vendu aux enchères en 2015 pour 11 000 livres sterling. Des blocs de plus de 500 kilos peuvent valoir des millions d’euros.
Peut-on trouver de l’ambre en France ? Peu probable, même si la chance a souri au Pays de Galles. Certes, le cachalot peut apparaître dans n’importe quel océan, y compris dans l’Arctique, mais il préfère les eaux plus chaudes comme la Méditerranée ou les Caraïbes. Il existe donc des moyens plus simples de faire fortune, d’autant qu’il est bien plus rentable d’utiliser des substituts synthétiques que de l’ambre véritable dans le parfum.
ambre synthétique et substituts
Avec un ingrédient aussi rare et précieux, il était presque inévitable que l’on cherche à créer des alternatives à l’ambre (les premiers essais datent des années 1950). Autrement dit, la plupart des parfums commerciaux affichant l’ambre/ambergris comme note (souvent de fond) ne contiennent évidemment pas d’ambre véritable – cela se verrait sur le prix – mais plutôt un substitut ou une version synthétique. On cherche ainsi à créer un « hommage » ou un profil olfactif qui évoque l’ambre, souvent avec des résultats étonnamment riches et nuancés. De plus, le processus de fabrication ne prend que quelques heures.
Un substitut courant est l’extrait de labdanum absolute, dont la résine contient de l’ambreine, le même composé odorant que l’ambre (labdanum absolute peut aussi remplacer le musc naturel). Un autre substitut est l’huile essentielle de sauge sclarée, qui rappelle à la fois l’ambre et le musc, et qui est souvent associée au benjoin, une résine issue du styrax, apportant une note fumée, chaude et vanillée.
Le plus courant aujourd’hui, notamment parce que c’est la solution la plus économique, est la version synthetique de l’ambre, appelée ambroxan, qui reproduit justement ces accords de peau chauffée au soleil et de douceur associés à l’ambre véritable. Il arrive aussi qu’on la retrouve en association avec d’autres substituts.
parfums à l’ambre
L’un des rares parfums réputés contenir de l’ambergris véritable serait le mythique Chanel N°5 (même si cela reste incertain aujourd’hui), ainsi que certaines créations de Gucci et Givenchy. Mais ce sont là des exceptions. Quels parfums peut-on alors trouver avec des accents d’ambre ?
Un favori de beaucoup est l’Ambra de Acqua di Parma, une fragrance sombre et profonde conçue comme un hommage à la note d’ambergris, avec un résultat final évoquant le cuir, brut, presque animal, mais toujours raffiné et élégant. Le balsamique Mortal Skin de Stephane Humbert Lucas, aux accents de peau, de latex et d’encens sacré, est l’un des nombreux parfums de la marque où l’ambre occupe une place centrale, ici associée au labdanum et au musc. Dans la fragrance exclusive Great Britain de Roja, où le foin et l’étable animale se mêlent au savon et à la violette élégante, l’ambre et le labdanum constituent des piliers essentiels. On retrouve l’ambroxan dans le Venti4 Verde de l’italien Venti4 Profumo, qui parvient aussi à restituer les accords marins salés de l’ambre, et dans le Neon Amber de Molton Brown, qui associe ambroxan et labdanum dans ses notes de fond. Et il nous semble retrouver beaucoup d’ADN d’ambre, de benjoin et d’ambroxan dans plusieurs créations d’Alessandro Gualtieri pour Nasomatto et Orto Parisi, même s’il refuse de révéler les notes et ingrédients de ses parfums.
L’ambre est complexe et fascinante, et peut vous ouvrir un tout nouvel univers olfactif. Pas mal pour ce qui n’était au départ qu’un vomi de cachalot, n’est-ce pas ?