Écurie, tas de fumier et saleté

Un défi pour les sens.

Rédigé par GlenN Lauritz Andersson & Denis Vasilije, experts en parfum
nasomatto-banner

De plus en plus de personnes découvrent qu’il existe des parfums qui sortent de l’ordinaire, qui bousculent notre conception traditionnelle de la fragrance et de la fraîcheur. Ces moutons noirs de la jungle du parfum évoquent souvent ce que l’on associe le moins à une odeur agréable au sens classique : des notes animales, des effluves corporelles, et plus encore. On les décrit volontiers comme « animaux » ou « skunky » (tout le monde sait que la moufette n’est pas réputée pour son parfum), mais ils sont souvent regroupés sous le terme « barnyard », car beaucoup rappellent l’écurie et le fumier, à l’image des parfums Mamluk, Al-Khatt et Zafar de la collection Oud Stars de la maison italienne Xerjoff.

Ces tonalités terreuses proviennent du bois d’oud (agarwood), un arbre dont le cœur, infecté par un champignon, est extrait pour produire une huile précieuse – un procédé coûteux. Dans ces créations, la dimension « écurie » est si marquée qu’elle séduit surtout les amateurs passionnés.

Porter un parfum barnyard, c’est affirmer son indépendance, sa confiance et son audace.
 

QUI porte un parfum barnyard ?

Il faut du caractère pour adopter un parfum barnyard. En le portant, vous montrez que vous suivez votre propre voie, avec assurance et sans crainte. Ces bombes olfactives animales peuvent se révéler d’une grande complexité et opérer des merveilles sur la peau adéquate, où des notes inattendues émergent et créent un équilibre subtil. Il se passe toujours quelque chose, en somme.

Les parfums « sales » peuvent aussi s’utiliser de façon plus discrète, en harmonie avec d’autres notes, pour un effet déroutant au premier abord, où l’on hésite entre le rejet et la fascination. Le parfumeur Alessandro Gualtieri – célèbre pour la marque culte et controversée Nasomatto – s’est inspiré de ce contraste dans sa nouvelle ligne Orto Parisi, où la philosophie olfactive repose sur l’idée que les parties du corps qui sentent le plus sont celles où l’âme se concentre – autrement dit, les odeurs sexuelles et corporelles.

The smell of life

Avec Orto Parisi, Alessandro Gualtieri cherche à éveiller la curiosité, à troubler et à surprendre en révélant des notes qui, à l’état pur, pourraient sembler dérangeantes, mais qui deviennent fascinantes et belles une fois associées à des ingrédients envoûtants évoquant jardins, agrumes, bois et épices. Il nomme cette collection « The smell of Life ».

Le parfum Bergamask s’articule autour du thème « fresh kill ». Les notes musquées et brutes sont adoucies par une bergamote estivale et fraîche, dans une composition qui rappelle le sang chaud et le fer. Bien moins dérangeant que ce que l’on pourrait croire. Parmi les créations les plus sensuelles et puissantes d’Orto Parisi, on trouve Terroni, inspiré à juste titre du volcan Vésuve, avec ses notes terreuses fumées, ses épices et sa douceur – la bombe atomique d’Orto Parisi.

Pour les novices du barnyard, il peut être judicieux de commencer par une fragrance plus accessible. Xerjoff Warda al Oud est une excellente introduction, séduisante même pour les non-initiés. La note de fond d’oud tire vers le côté animal, mais la note de tête est riche et florale (warda signifie rose en arabe). Dans la même collection, on découvre aussi Black Sukar. Ce parfum est une merveille – une senteur sucrée et sombre de canne à sucre brûlée, relevée d’une touche d’oud, qui rappellera des souvenirs à tous ceux ayant voyagé en Inde, en Asie du Sud ou au Moyen-Orient.

L’oud « sale » provient de pays comme le Laos, le Cambodge et l’Inde. Et comme tout ce qui est précieux, il porte de nombreux noms : Hindi, Fecal, Farmhouse, Earthy et Dirty sont quelques-uns des termes employés pour décrire cette tendance olfactive.

Le Cambodge a même donné son nom au parfum le plus extrême de tous – l’huile Kampuchea de Xerjoff. Son prix au litre avoisine le million d’euros, car elle est extraite d’un oud sauvage issu de la forêt primaire cambodgienne, ce qui la rend extrêmement rare. Et très brute. C’est une essence concentrée d’excréments et de matières fécales qui rebute la plupart des profanes. À côté, Xerjoff Zafar et Xerjoff Al Khatt paraissent presque légers.

Dans l’univers barnyard, on trouve des parfums qui suscitent l’émotion et défient les sens, mais auxquels il est impossible de rester indifférent – et une fois apprivoisés, c’est souvent le coup de foudre.

Barnyard ne signifie donc pas forcément plonger dans le tas de fumier – il peut aussi s’agir d’une expérience olfactive intrigante, où l’animalité s’exprime avec subtilité, accessible même aux curieux néophytes, qui se laisseront volontiers envoûter.