Gents rencontre le fondateur de Widian, Ali Aljaberi
- une conversation sur la création de parfum et le cuir comme ingrédient.
Nous avons eu l’opportunité d’interviewer Ali Al Jaberi sur sa passion pour le parfum et sa vision des différentes notes olfactives. En tant que fondateur de la marque de niche Widian, Al Jaberi, dont l’ambition est de marier la tradition arabe à la parfumerie occidentale contemporaine, partage ses réflexions personnelles sur le cuir et la meilleure façon d’utiliser cet ingrédient. Découvrons ses réponses à nos questions.

Dans le monde arabe, l’art de la création de parfum possède de profondes racines historiques, souvent ancrées dans les traditions locales, et la passion d’Ali Al Jaberi pour les senteurs a commencé très tôt, lorsqu’il a commencé à expérimenter avec des parfums faits maison. Mais ce n’est qu’en 2008 qu’il entame la carrière de créateur de parfums qui allait poser les bases de l’actuel Widian. Lorsque le premier parfum a été lancé, la marque s’appelait A J Arabia, puis, à l’idée d’un lancement international, elle a pris le nom de Widian. Depuis, les collections et les fragrances se sont multipliées, toutes portées par la vision créative d’Al Jaberi.
– Personne ne peut vraiment se décrire soi-même, mais beaucoup diraient sans doute que je suis un perfectionniste qui vise l’excellence absolue, confie Al Jaberi. Comme je ne compose pas moi-même les parfums, je collabore étroitement avec des parfumeurs talentueux capables de donner vie à mes idées. C’est le métier le plus exigeant au monde !
Lorsqu’il imagine ses parfums, Al Jaberi ne cible pas un public précis ; ses créations naissent de sentiments et d’associations personnelles – la nature et les gens sont ses principales sources d’inspiration. Sa note favorite est l’iris, ce qui est, selon lui, assez ironique puisqu’il l’utilise rarement dans ses compositions. Son tout premier souvenir olfactif est celui du Pino Silvestre, parfum italien aux accents de pin que portait quotidiennement son père, une expérience qui lui a très tôt révélé le pouvoir du parfum à transmettre des ambiances et des souvenirs, et qui a depuis guidé sa manière de concevoir ses créations :
– Il faut d’abord avoir une idée du type de parfum que l’on souhaite créer et du message qu’il doit transmettre. Doit-il évoquer la fraîcheur, la sensualité, l’énergie ou procurer un sentiment de proximité et d’intimité ? L’étape suivante consiste à traduire ces émotions en mots (ce qui est plus facile à dire qu’à faire !) puis à rechercher les ingrédients qui incarnent ces sentiments, pour enfin composer la fragrance avec un parfumeur professionnel.
– Beaucoup diraient sans doute que je suis un perfectionniste qui vise l’excellence absolue
La vision d’Al Jaberi pour Widian reflète l’esprit cosmopolite d’Abu Dhabi, centre multiculturel des Émirats arabes unis où l’Orient rencontre l’Occident. Il est donc naturel de collaborer avec des créateurs occidentaux comme le parfumeur français Jean-Claude Astier, tout en affirmant l’influence arabe dans le design des flacons et l’utilisation d’ingrédients tels que l’encens, les épices et – le cuir.
Pour transposer l’odeur du cuir dans un parfum, la matière est macérée afin d’en extraire huiles et résines. La note cuirée peut alors offrir à la fragrance des nuances d’agrumes, de foin, de goudron ou encore des accents animaux. On peut évoquer aussi bien le daim, le blouson de cuir que la peau animale, et l’impression finale dépendra des autres notes associées au cuir. Al Jaberi ne cite aucune note qu’il refuserait de marier au cuir ; tout est question de dosage et d’équilibre :
– Expérimenter avec les notes olfactives, c’est comme jouer avec les couleurs pour créer une œuvre d’art ; mélanger du rouge et du vert donne du brun, tout comme le bleu et l’orange, ou bien on peut simplement peindre directement en brun.
Dans la collection plus douce de Widian, la « Black Collection » – dont les cinq parfums symbolisent différentes étapes de la Route de la Soie d’est en ouest – le cuir est dosé avec subtilité, à peine perceptible parmi les fruits, les notes florales et les touches discrètes d’encens. Tandis que dans le parfum de soirée au caractère affirmé, London, issu de la « Saphire Collection » (un hommage aux grandes métropoles), il s’exprime plus franchement, en dialogue avec la fumée et la framboise pour évoquer l’Angleterre. Selon Al Jaberi, il est donc essentiel de bien équilibrer la note cuirée avec les autres ingrédients. S’il devait citer un style olfactif qu’il n’apprécie pas, ce serait « lorsque l’aspect animal est trop prononcé » :
– Le cuir est un ingrédient vraiment délicat. Bien travaillé, il vous rend irrésistible, mais mal dosé, il sent simplement « l’étable ». L’une des notes cuirées les plus intéressantes du marché, selon moi, est Galop d’Hermès.
À la question de son plus beau souvenir olfactif lié au cuir, il répond sans hésiter :
– Une peau pure !