La coutellerie Heljestrand a été fondée à Eskilstuna en 1808 par le conseiller municipal Olof Heljestrand (1781-1837), qui introduisit en Suède l’art alors inconnu de la gravure et de la dorure sur les ouvrages en acier de qualité. À l’origine, la production comprenait notamment des plumes en acier, des ressorts de montres de poche et des scies en acier, mais peu à peu, l’expertise s’est tournée vers les ciseaux, les instruments chirurgicaux et, surtout, les coupe choux.

Après le décès du père en 1837, l’entreprise fut reprise par le fils aîné, Nils Fredrik Heljestrand (1808-1868). Déjà à cette époque, l’atelier produisait de grandes quantités de coupe choux et comptait plus de 32 employés.

Le fils cadet, Carl Victor (1816-1861), souvent abrégé en C.V. sur les estampilles des coupe choux, avait, dès son plus jeune âge, exploré tous les recoins de la fabrique. Dès l’âge de 12 ans, Carl Victor effectuait des tâches simples à l’usine, où il resta jusqu’à ses 23 ans. À cette époque, le Collège royal du commerce proposa de promouvoir le développement de la métallurgie fine en Suède en envoyant des ouvriers sélectionnés à l’étranger pour acquérir un savoir-faire pratique et s’inspirer.

C.V. Heljestrand reçut ainsi une proposition de voyage d’étude en Angleterre, mais, ne maîtrisant pas encore toutes les compétences requises, notamment la langue anglaise, il obtint une bourse pour acquérir ces connaissances durant quelques mois à l’Institut technologique de Stockholm (aujourd’hui KTH). À l’automne 1843, C.V. Heljestrand partit donc pour l’Angleterre, où il fut finalement embauché à la coutellerie Parker’s & Lindby à Sheffield.

Par son caractère agréable, C.V. Heljestrand gagna l’estime et la confiance des ouvriers anglais, et il acquit progressivement les connaissances qui étaient l’objectif de son voyage. Fin 1845, il quitta l’Angleterre et rentra en Suède via la Belgique et l’Allemagne, profitant du trajet pour visiter les plus prestigieuses coutelleries d’Europe.

De retour à Eskilstuna quelques mois plus tard, C.V. Heljestrand parvint, après bien des obstacles, à louer dans l’un des ateliers de la ville une petite pièce de 4 aunes de large sur 8 de long (1 aune = 0,59 mètre). Il y installa, autant que possible, un atelier de polissage inspiré du modèle anglais, avec plusieurs postes de meulage et de polissage. Dans ce modeste espace, il forma plusieurs ouvriers à l’art de fabriquer des ciseaux et des fourchettes de table, activité qu’il poursuivit jusqu’à l’automne 1849. À cette époque, un autre atelier de la ville devint disponible à la location, et C.V. Heljestrand signa un bail de 25 ans – une durée étonnamment longue selon nos standards actuels.

L’activité de C.V. Heljestrand put alors véritablement prendre son essor. Mais parallèlement à ce succès, la maladie pulmonaire qui allait finalement emporter cet homme persévérant et talentueux commença à se développer. Il est probable qu’il contracta cette maladie durant ses trois années passées dans ce local exigu et malsain.

Mais il ne put pas encore se consacrer exclusivement à sa propre fabrique. À plusieurs reprises, son expérience et ses connaissances furent sollicitées par d’autres industriels suédois de renom, désireux de nouer des relations commerciales avec les grands acteurs internationaux de la sidérurgie. À cette fin, il effectua trois autres voyages à l’étranger : la première fois (1851) avec le maître de forges C.A. Rettig en Angleterre et en Belgique ; la deuxième (1854) en Angleterre, aux frais de C.J. Olsson de Riddarehyttan ; et enfin en 1856, de nouveau en Angleterre avec le chambellan Stockenström. Chacun de ces voyages permit d’atteindre les objectifs fixés, grâce en grande partie à Heljestrand.

C.V. Heljestrand put alors, dans le calme et avec de grandes espérances de succès, poursuivre son activité principale : la fabrication de produits de métallurgie fine et des meilleurs coupe choux que notre pays ait connus. Il eut également la satisfaction de voir ses productions recevoir les plus hautes distinctions, tant en Suède qu’à l’étranger. Cependant, ses forces physiques déclinèrent rapidement, et bien que son esprit soit resté vif jusqu’au bout, une tuberculose l’emporta le 29 juillet 1861, à seulement 45 ans.

Peu après la mort de C.V. Heljestrand, on pouvait lire dans le « Post- och Inrikestidningar » :

« Le défunt s’est fait connaître par sa grande expertise et son activité zélée dans la fabrication de produits de forge en général, et en particulier dans les ouvrages en acier fin qu’il réalisait lui-même. Dans sa communauté, il œuvra plus que quiconque, avec le même zèle, pour le développement de la manufacture et les intérêts collectifs. Même alité, il continuait à partager ses réflexions et conseils sur les affaires publiques, avec le discernement et la clarté qui lui étaient propres. Il est respecté et regretté par la communauté à laquelle il appartenait, et la perte est d’autant plus grande qu’elle restera sans doute longtemps irremplaçable. »*Voir source

Les coupe choux et produits en acier fin de C.V. Heljestrand furent remarqués lors des expositions universelles de Paris 1855, Stockholm 1866, Bogotá 1875, Philadelphie 1876, Chicago 1883, Paris 1900 et 1937. L’entreprise fut poursuivie à Eskilstuna par les descendants de Heljestrand jusqu’en 1980, date à laquelle elle fit faillite, principalement en raison de l’absence de marché, Gillette et son rasoir multi-lames ayant alors conquis le monde comme principal outil de rasage pour les hommes. Les machines furent ensuite vendues à la Tanzanie et le vaste stock de coupe choux tomba dans l’oubli.

La production éventuelle de coupe choux a été délocalisée dans des pays à bas salaires comme la Chine, et l’acier utilisé est désormais principalement d’origine chinoise ou britannique, au lieu de l’acier suédois. Aujourd’hui, il n’existe plus de fabrication de coupe choux en Suède.

En 2009, Gents a racheté le stock restant de coupe choux Heljestrand issu de la liquidation. Outre ces coupe choux, la collection comprend également un grand nombre de coupe choux avec des manches en véritable ivoire et véritable écaille de tortue, aujourd’hui issus d’espèces protégées et donc interdits à la vente.

Source : Svenska Industriens Män, 1ère série, Stockholm, Kjellberg & Åström, imprimé chez J.W. Holm 1875. Stockholm, Isaac Marcus’ Boktryckeri-Aktiebolag, 1874. Voir images du livre ci-dessous.